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Une journée dans la peau d’un ambulancier

Partenaires privilégiés des eHnv, les ambulanciers du Centre de secours et d’urgences du Nord vaudois et de la Broye assurent, en première ligne, les urgences sanitaires de la population de notre région. Nous avons passé quelques heures à leurs côtés.

Il est un peu moins de 7 h du matin et, dans ce petit local, ersatz de vestiaire de footballeurs — l’exsudation en moins, l’ordre en plus — j’affronte comme je peux ma première difficulté de la journée : trouver un pantalon d’ambulancier à ma taille. C’est que la chose est bien moins anodine qu’il n’y paraît. En première ligne, premiers êtres auxquels se raccrocher lorsque le destin nous contraint à la douleur, à la peur, à la faiblesse, les ambulanciers sont aussi ceux à qui, parfois, l’on confie en premier lieu nos vies. Une responsabilité colossale qui exige non seulement de solides compétences, mais également le respect de l’autre qui, lui, passe aussi par un pantalon correctement taillé. L’un de ces détails qui, bien plus que de le porter, font des valeurs que leur uniforme véhicule la fierté de tous les ambulanciers.

Une théorie qui ne va d’ailleurs pas tarder à être confrontée à l’exercice de la réalité.

En effet, à peine suis-je habillé, la séance de remise de la garde entre l’équipe de nuit et celle de jour tout juste terminée, que la première alarme se met à sonner. Un homme domicilié à une dizaine de kilomètres de la base yverdonnoise du Centre de secours et d’urgences du Nord vaudois (CSU-nvb) se plaint de fortes douleurs dans le bas du dos. Une urgence non vitale qui implique un déplacement sans feu bleu ni sirène. Et l’occasion pour nous d’apprendre que de toute manière – contrairement à bien des idées reçues – sauvetage et vitesse font rarement bon ménage. Que pour le patient, une fois pris en charge à bord d’une ambulance, l’important est que sa stabilité soit garantie. Qu’ainsi l’essentiel lors de l’acheminement d’un malade dans un hôpital consiste plus à assurer la fluidité du transfert que sa rapidité.

La devise sur l’épaule

Mais l’importance de l’uniforme, disions-nous. À peine les deux ambulanciers sont-ils arrivés au domicile du patient, sitôt le regard de l’épouse – apparue dans l’encadrement de la porte de l’appartement – venu se poser sur les deux sauveteurs que la tension, désagréable mélange d’angoisse et d’impatience, sembla chuter. « Ils sont là », s’empressa-t-elle alors de lancer à son mari comme elle aurait pu crier « victoire ». Sans plus attendre, les deux hommes se dirigent vers le patient. Débute alors la prise en charge, mariage des soins du corps et des âmes, impressionnante démonstration de savoir-faire dont la subtilité, pour sûr, échappe aux néophytes. Dans une étrange chorégraphie, moult fois entraînée afin de ne laisser aucune part à l’improvisation, alors que l’un des ambulanciers effectue les premiers examens sur le patient, le second, dans le rôle de l’écoutant, rassure, s’enquiert de la situation auprès de l’épouse. Sans mot dire, les deux soignants se comprennent, anticipent les besoins, les questions de l’autre. Et la pensée qui nous vient est que si un jour ils se mettaient en quête d’une devise à coudre sur leur épaule, elle pourrait assurément être « Dans le calme, agir et réconforter ». Une fois le patient stabilisé, il est délicatement installé dans l’ambulance et acheminé en direction de l’Hôpital d’Yverdon-les-Bains. Un trajet durant lequel, là encore, les ambulanciers s’évertuent à prendre le plus grand soin de lui comme de son accompagnant. Et de nous rappeler par là même que, souvent, dans ce genre de situation, s’il n’y a qu’un patient, ses proches sont aussi des souffrants.

« Etre ambulancier c’est aussi apprendre à gérer l’inconnu : être toujours prêt pour la prochaine intervention »

Installé dans le box des urgences, l’homme est alors confié au personnel de l’hôpital. Le temps encore pour nos ambulanciers de se charger de la partie administrative et, surtout, de transmettre leurs appréciations, leur premier diagnostic et de livrer le compte rendu de leurs actions aux équipes médicales. Essentiel. Véritable genèse de la prise en charge qui suivra.

Le gilet pare-balles

De retour à la base d’Yverdon-les-Bains, l’une des six du CSU-nvb avec L’Abbaye, Vallorbe, Sainte-Croix, Pompaples et Payerne, c’est par un élément de l’uniforme encore, un gilet pare-balles, que l’on prend soin de sortir du lourd véhicule jaune en l’occurrence, que l’on apprend, non sans une pointe de tristesse, que de nos jours, on a beau avoir décidé de consacrer sa vie aux autres, il n’en demeure pas moins que nous ne sommes pas à l’abri de la bêtise d’autrui. « On l’utilise principalement lorsqu’on doit intervenir en milieu carcéral. Mais oui, il peut arriver qu’occupé à sauver, on soit agressé », lâche timidement un des ambulanciers.

Mais pas le temps de s’apitoyer. Parce qu’être ambulancier c’est aussi apprendre à gérer l’inconnu : être toujours prêt pour la prochaine intervention, et ce sans savoir quand, où ni comment elle sera. Savoir, mieux que quiconque, qu’il y a rarement plus stressant que l’attente, que l’état de qui-vive permanent est véritablement éreintant. Et que la qualité d’une intervention tient pour beaucoup dans sa préparation. Alors, entre deux assistances à personne en souffrance, les ambulanciers enfilent leurs autres costumes.

Celui d’intendant, d’abord. Minutieusement, après chaque intervention, vérifier, remplacer et ranger le matériel aussi bien médical que logistique des véhicules. Plusieurs fois par semaine, nettoyer et désinfecter les véhicules.

Celui d’administrateur, aussi. À l’instar des autres soignants, la part administrative qui leur incombe est de plus en plus importante.

Celui de formateur, enfin. Puisque c’est bien souvent en équipe, autour de la grande table qui trône au milieu de la salle qui leur sert tantôt de bureau, tantôt de cuisine et tantôt de chambre à coucher, les équipes du CSU-nvb n’ont de cesse de se challenger, de débriefer, d’échanger et de répéter ces procédures qui, d’une minute à l’autre, permettront peut-être de sauver une vie.

Une deuxième intervention qui, ce jour-là, ne viendra pas. Mais qu’importe. Il n’en demeure pas moins que, le soir venu, dans ce petit local – ersatz de vestiaire de footballeurs, au moment de raccrocher cette veste dans le dos de laquelle est imprimé « ambulance » –, je me suis murmuré : « Quelle fierté d’avoir pu la porter. »